Auteurs :
Audrey Anne Chouinard et Mathilde Laroche1
Résumé
Il est de plus en plus difficile de pratiquer en ressources humaines sans avoir à se pencher sur des questions entourant les ressortissants étrangers. Il est encore plus difficile de savoir par où commencer lorsque l’on veut mettre en place des processus pour mieux gérer ces personnes dans le respect de toutes les lois provinciales et fédérales applicables.
Le présent texte est le troisième et dernier article d’une série de trois destinés aux employeurs qui souhaitent faire les premiers pas vers de meilleures pratiques en matière de gestion des travailleurs étrangers temporaires.
Nos avocats en immigration collaborent périodiquement avec les éditions Yvon Blais à la rédaction d’articles de fonds et de mises à jour juridiques. Cet article a initialement été publié dans le « Bulletin en ressources humaines » en novembre 2024 sous la cote EYB2024BRH2721. Son format a été légèrement altéré pour rencontrer les exigences de format du site web de Galileo Partners.
Introduction
Comme discuté dans le cadre de nos derniers articles 2 , pour assurer une conformité face aux obligations légales qui incombent aux employeurs, il sera important d’établir de bonnes bases dans la gestion des dossiers de travailleurs étrangers.
Notre premier article visait à vous permettre d’identifier les travailleurs temporaires à votre emploi et à dresser une liste initiale de ces personnes ainsi que des informations génériques sur chacune d’elles (titre du poste, date de délivrance et d’expiration du statut d’immigration, etc.).
Notre second article, quant à lui, visait à vous permettre de bonifier ce répertoire initial en validant le respect ou non de certaines exigences légales et règlementaires.
Dans le présent article3, nous souhaitons aborder l’importance du respect des obligations liées à l’emploi et, dépendamment de la situation applicable, voir si des mesures correctives doivent être prises.
Bien que chaque situation nécessite une évaluation « au cas par cas », nous aborderons ainsi les prochaines étapes requises afin de mettre en place un processus de gestion des travailleurs étrangers temporaires, dont la correction proactive des situations de non-conformité identifiées.
I– CORRIGER PROACTIVEMENT
Nos précédents articles visaient à aider les employeurs à se doter de bonnes pratiques en matière de gestion des travailleurs étrangers et ainsi à minimiser les risques liés à la conformité. La question demeure toutefois… Que faut-il faire si l’employeur constate une situation de non-conformité ?
À cette question, il n’y a malheureusement pas de réponse parfaite : chaque cas doit être analysé individuellement en considérant la nature de la non-conformité et les conséquences possibles auxquelles l’entreprise et le travailleur font face.
Nous allons toutefois tenter de vous guider avec quelques exemples concrets.
A. Les conditions de travail ont été modifiées ou ne sont pas les mêmes en cours d’embauche
En règle générale, les conditions de travail qui ont été déclarées par l’employeur doivent demeurer essentiellement les mêmes, mais non moins avantageuses que celles précisées dans l’offre d’emploi, et ce, pendant toute la durée du permis de travail émis.
Il peut toutefois y avoir certaines situations dans lesquelles les conditions de travail seront modifiées. Dans ce cas-ci, la première étape consiste à déterminer si le changement ou la situation en question pose un problème de non-conformité.
Prenons l’exemple d’une augmentation de salaire. Si la possibilité d’une telle augmentation avait été prévue dans l’offre initiale, il n’y aura généralement pas d’action requise. Si aucune augmentation n’a été prévue, il est toutefois généralement reconnu qu’une augmentation équivalente à l’inflation soit possible4.
Dans ces exemples, il n’y a pas d’enjeu de non-conformité et l’analyse peut s’arrêter ici.
Prenons maintenant l’exemple d’un salaire versé inférieur au salaire prévu à l’offre initiale.
Dans un tel cas, il y a effectivement un problème de non-conformité. La deuxième étape consiste alors à déterminer la solution applicable pour régler ce problème.
Dans certains cas, la situation de non-conformité pourrait être justifiée et ne mènerait pas nécessairement à une pénalité. Par exemple, il a été déclaré dans l’offre d’emploi que le salaire du travailleur serait de 25 $ l’heure, mais, en réalité, le travailleur a été payé 23 $ l’heure pendant trois mois en raison d’une erreur administrative. Dès que l’employeur a réalisé l’erreur, il a versé au travailleur le montant manquant et a corrigé le système de paie à 25 $ l’heure pour l’avenir.
Dans cet exemple, bien qu’il y ait une situation de non-conformité (puisque le salaire versé n’est pas le même que celui déclaré), cette situation serait justifiée, considérant que l’erreur est administrative et que l’employeur a corrigé la situation de façon proactive, c’est-à-dire dès que l’erreur a été constatée5.
Cependant, il peut aussi arriver que la situation soit un peu plus complexe. Par exemple, il a été déclaré dans l’offre d’emploi que le salaire du travailleur serait de 25 $ l’heure, mais, en réalité, le travailleur a été payé 23 $ l’heure puisque l’employeur est d’avis que le travailleur est moins expérimenté qu’il ne l’avait anticipé.
Dans ce cas-ci, les justifications à la situation de non-conformité sont plus limitées. Il serait peu probable qu’un inspecteur considère cette situation comme justifiée et des sanctions prévues aux lois et règlements en vigueur s’appliqueraient certainement.
Il deviendra alors nécessaire de prendre une décision sur les actions correctives à prendre ou non.
B. Oubli quant aux documents à remettre
L’employeur qui embauche des travailleurs temporaires doit généralement leur remettre certains documents, incluant une copie de leur contrat de travail et une brochure détaillant leurs droits.
Il est important de remettre ces documents, considérant qu’en cas d’inspection, il sera probablement demandé à l’employeur de démontrer l’avoir fait.
Pour le contrat de travail, nous recommandons d’en remettre une copie au travailleur étranger dès que celui-ci y aura apposé sa signature. De cette façon, l’employeur s’assure que cette obligation a été remplie.
L’employeur peut également faire signer une déclaration sous serment (communément appelée « affidavit ») ou un autre type d’attestation par le travailleur étranger temporaire confirmant qu’il a reçu la copie du contrat de travail signé.
Dans la mesure où la copie du contrat de travail n’a pas été remise, nous conseillons de corriger la situation le plus rapidement possible en s’assurant que le travailleur y ait accès.
En ce qui a trait aux brochures sur les droits des travailleurs, ce document doit être remis au plus tard lors de la première journée de travail. Sur ce point, nous constatons que les inspecteurs sont actuellement conciliants et adoptent une approche collaborative visant à sensibiliser les employeurs plutôt qu’à les réprimander.
Ainsi, si cette brochure n’a pas été remise au plus tard la première journée de travail, nous recommandons minimalement de vous assurer que des exemplaires soient disponibles dans les aires communes et que les travailleurs étrangers temporaires y aient accès en tout temps.
C. Correction du permis de travail
Dès que le travailleur étranger temporaire reçoit son permis de travail, il est également important de s’assurer que les informations inscrites soient conformes à ce qui a été déclaré dans la demande de permis de travail.
Ces erreurs sont généralement peu fréquentes, mais, lorsqu’elles surviennent, il sera important d’analyser l’ensemble des informations et, en cas d’erreur, de déterminer s’il est souhaitable ou nécessaire de procéder à une correction du document d’immigration.
1. Permis de travail fermé
Lors de la révision des informations indiquées sur un permis de travail fermé, il sera important de porter une attention particulière quant à certaines d’entre elles.
Par exemple, le nom de l’employeur. En effet, comme mentionné dans nos articles précédents, un permis de travail fermé signifie que le travailleur étranger temporaire peut uniquement travailler pour un employeur spécifique. Ainsi, si le nom d’un autre employeur est inscrit au permis, cela veut techniquement dire que le travailleur ne peut travailler que pour cet autre employeur. Assumant que la demande initiale était conforme quant à l’employeur réel, il n’est pas souhaitable de garder un tel permis sans le faire corriger.
Une autre information importante à vérifier sur le permis de travail est le lieu d’emploi. En effet, sur les permis de travail fermés, un lieu d’emploi spécifique est généralement indiqué. Ainsi, s’il a été déclaré qu’il n’y avait qu’un seul lieu d’emploi, il faudra s’assurer que la ville inscrite sur le permis de travail correspond à celle qui a été déclarée dans la demande. Cependant, il peut aussi arriver qu’en raison de la nature de l’emploi, le travailleur soit appelé à se déplacer dans plusieurs villes dans la province ou même dans plusieurs villes à travers le Canada. Dans un tel cas, la ville indiquée sera celle du principal lieu d’emploi, mais il faudra vérifier la section « Conditions » afin de s’assurer que l’interdiction de travailler à plus d’un lieu de travail a été retirée ou même de vérifier si l’agent a ajouté un commentaire dans la section « Observations » autorisant le travailleur à exercer son emploi à plus d’un endroit. Dans le cas contraire, une correction est souhaitable pour éviter toute confusion future.
Finalement, il faudra également s’assurer que la date d’expiration affichée sur le permis de travail est celle demandée. Par exemple, si la période demandée était de trois ans, mais que le permis de travail est valide uniquement pour une période d’un an, il y aura lieu de demander une correction du permis de travail ou de tenter d’obtenir plus d’explications quant à la raison de la limitation de durée. En effet, la date d’expiration du document est à l’entière discrétion de l’agent qui traite la demande. En révisant proactivement le permis, il se pourrait qu’un agent puisse corriger la durée sur présentation d’une justification.
2. Permis de travail ouvert
Pour les permis de travail ouverts, il y a généralement peu de vérifications à faire, puisqu’il n’y a pas d’indications spécifiques quant à l’employeur et au titre du poste. Toutefois, il est tout de même nécessaire de vérifier les conditions associées au permis afin de s’assurer qu’il n’y ait aucune limitation empêchant le travail envisagé par le ressortissant étranger.
II– L’ANALYSE EN TROIS ÉTAPES
Comme mentionné ci-dessus, il peut exister une panoplie de situations qui peuvent faire présumer une situation de non-conformité ou présenter une réelle situation de non-conformité en lien avec les ressortissants étrangers à votre emploi.
Bien qu’il soit impossible d’aborder l’ensemble de ces scénarios et des solutions possibles, nous proposons une analyse en trois étapes :
- Comparer les déclarations faites aux services d’immigration avec la situation réelle du travailleur et identifier les différences :
- Sont-elles mineures ou importantes ?
- Sont-elles à l’avantage du travailleur ou à son désavantage ?
- Vérifier les risques et les conséquences possibles pour l’employeur et le travailleur :
- Quels sont les risques que la non-conformité soit découverte ?Quel est le risque d’avoir une inspection ?Quelles sont les conséquences possibles de cette non-conformité ?
- Quel niveau de risque l’employeur et le travailleur sont-ils prêts à tolérer ?
- Déterminer la solution appropriée en soupesant les risques et les conséquences identifiés :
- Aucune action requise ;
- Actions correctives « internes » (entre l’employeur et le travailleur seulement) ;
- Actions correctives « externes » (déclarées auprès des services d’immigration par différentes méthodes, selon le cas) ;
- Nouvelle demande à présenter ;
- Etc.
Un professionnel en ressources humaines qui constate une situation de non-conformité devrait aviser l’employeur et procéder à l’analyse en trois étapes plus haut.
En cas de doute, n’hésitez pas à consulter un avocat spécialisé en immigration pour soupeser les risques et vous conseiller sur les solutions à envisager.
III– LA BONIFICATION DU RÉPERTOIRE
Dans le cadre de cette série, nous avons recommandé la création d’un répertoire afin de compiler les données liées aux travailleurs étrangers temporaires.
Nous proposons une nouvelle fois de bonifier le répertoire en ajoutant une section dédiée à la correction proactive en cas de non-conformité.
Voici un modèle de base pouvant être utilisé :
L’ajout de la dernière colonne permettra de conserver une trace écrite des décisions prises et des correctifs apportés, le cas échéant. Ceci pourrait s’avérer particulièrement utile en cas d’inspection.
CONCLUSION
Nous espérons qu’à l’issue de cette série, le lecteur ait acquis les bases nécessaires pour une meilleure prise en charge des travailleurs étrangers temporaires.
L’outil de répertoire présenté dans ces articles doit être adapté à la réalité de chaque entreprise et être bonifié et amélioré constamment. Une utilisation continue d’un tel outil limitera les risques d’erreur et facilitera la gestion quotidienne.
Nous rappelons que cette série d’articles dresse un portrait général et se veut un outil de départ. Cette série ne constitue en aucun cas une revue exhaustive des obligations à respecter par les employeurs.
- Me Audrey Anne Chouinard est associée et fondatrice du bureau Avocats Galileo Partners inc. Elle possède plus de 10 ans d’expérience en immigration d’affaires et mobilité internationale. Me Mathilde Laroche est avocate au sein du même bureauet pratique dans le même domaine. ↩︎
- Audrey Anne Chouinard et Mathilde Laroche, « Gestion des travailleurs étrangers – Premiers pas vers des meilleures pratiques en matière de ressources humaines : faciliter l’identification des travailleurs étrangers temporaires et se créer un répertoire initial », Bulletin en ressources humaines, Juillet 2024, EYB2024BRH2693. Audrey Anne Chouinard et Mathilde Laroche, « Gestion des travailleurs étrangers – Premiers pas vers de meilleures pratiques en matière de ressources humaines : assurer une conformité face aux obligations légales liées aux employés sous statuts temporaires », Bulletin en ressources humaines, Septembre 2024, EYB2024BRH2697. ↩︎
- Les auteures recommandent la lecture préalable du premier et du deuxième article de cette série. ↩︎
- Par exemple, Emploi et Développement Social Canada considère une augmentation égale ou inférieure à l’inflation comme étant une modification mineure ne nécessitant pas d’être signalée (pour plus d’informations, voir : <https://www.canada.ca/fr/emploi-developpement-social/services/travailleurs-etrangers/modification-eimt-positive.html>). ↩︎
- Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, arts. 209.2(3)e) et 209.3(3)e). ↩︎