La fin de la pratique du « tour du poteau » : quels sont les impacts pour les demandeurs et les employeurs ?

Temps de lecture : 8 min 29s
31 octobre, 2025
Marc-Alexis Laroche, avocat chez Galileo Partners, présente les récentes limitations réglementaires mises en place, tout en identifiant les impacts pour les demandeurs et les employeurs qui tentent de recourir à ce genre de pratique.

Auteurs :

Marc-Alexis Laroche1

Résumé

En décembre 2024, le gouvernement fédéral a instauré de nouvelles dispositions réglementaires qui viennent limiter la possibilité d’utiliser la pratique du « tour du poteau ».

Dans cet article, l’auteur présente les récentes limitations réglementaires mises en place, tout en identifiant les impacts pour les demandeurs et les employeurs qui tentent de recourir à ce genre de pratique.

Nos avocats en immigration collaborent périodiquement avec les éditions Yvon Blais à la rédaction d’articles de fonds et de mises à jour juridiques. Cet article a initialement été publié dans le « Bulletin en ressources humaines » en septembre 2025 sous la cote EYB2025BRH2817. Son format a été légèrement altéré pour rencontrer les exigences de format du site web de Galileo Partners.

*Les informations contenues dans cet article sont à jour à la date de sa publication.

INTRODUCTION

En date du 24 décembre 2024, le gouvernement fédéral a instauré de nouvelles mesures qui visent à restreindre la possibilité d’utiliser la pratique du tour du poteau. Ces mesures s’inscrivent dans un effort continu de diminution du nombre de résidents temporaires au Canada et visent également à diminuer le nombre de passages à la frontière canadienne.

Le tour du poteau est une pratique qui était permise et utilisée de manière fréquente au Canada depuis plusieurs années. Selon les statistiques les plus récentes, 69 300 individus avaient pu bénéficier annuellement de cette pratique avant l’entrée en vigueur des nouvelles restrictions mises en place par le gouvernement fédéral2.

Bien que le dépôt d’une demande de statut temporaire puisse toujours être fait en ligne, il demeure néanmoins que la pratique du tour du poteau offrait une grande flexibilité aux demandeurs et permettait également d’éviter de longs délais de traitement. À titre de référence, une demande de permis de travail soumise en ligne peut présentement prendre plus de 200 jours avant d’être finalement traitée.

I– QU’EST-CE QUE LE TOUR DU POTEAU ?

Le tour du poteau est une pratique qui consiste à se rendre à la frontière terrestre américaine afin de revenir ensuite du côté de la frontière terrestre canadienne pour redemander l’admission et ainsi pouvoir présenter une demande de résidence temporaire. De manière concrète, le demandeur indique aux services frontaliers américains qu’il ne souhaite pas demander l’admission aux États-Unis ; son but ultime étant de revenir au Canada afin de demander à nouveau l’admission sur le territoire canadien.

L’expression « tour du poteau » est image basée sur le fait que le demandeur effectue en quelque sorte un tour de poteau à la frontière terrestre entre les deux juridictions.

Cette procédure légale était utilisée par les résidents temporaires qui se présentaient à un point d’entrée, quittaient brièvement le pays, puis y revenaient afin de pouvoir demander le traitement de leur demande de statut temporaire en personne – une procédure étant possible et permise en raison des dispositions législatives et réglementaires en vigueur. Cette démarche leur permettait de recevoir sur-le-champ des décisions, telles que des prolongations de permis, et d’éviter du même coup les délais de traitement habituels pour les demandes soumises en ligne.

L’avantage du tour du poteau est que le demandeur – en ayant sa demande traitée le jour même – évitait de tomber en statut conservé. Le statut conservé est le statut obtenu par un demandeur qui a demandé le renouvellement de son document d’immigration actuel avant l’expiration. Dans un tel cas, le demandeur a la possibilité de demeurer sur le territoire canadien légalement et peut continuer de séjourner, d’étudier et/ou de travailler au Canada s’il respecte certains critères spécifiques.

Le statut conservé est généralement peu apprécié par les demandeurs, car il suppose que celui-ci doive demeurer sur le territoire canadien durant tout le traitement de la demande de statut temporaire. Si le demandeur quitte le territoire canadien, celui-ci perd normalement le statut conservé et ne peut donc plus séjourner, étudier ou travailler légalement au Canada durant le traitement de la demande.

Depuis le 23 décembre 2024, le gouvernement a instauré de nouvelles mesures qui visent essentiellement à interdire la pratique du tour du poteau à la frontière terrestre canadienne. Selon les autorités, ce changement était nécessaire, car le tour du poteau mobilisait d’importantes ressources frontalières, détournait les agents de leurs fonctions essentielles d’application de la loi et augmentait les temps d’attentes pour les voyageurs transfrontaliers.

II– LES CATÉGORIES D’EXCEPTIONS PRÉVUES PAR LE GOUVERNEMENT

Bien que la pratique du tour du poteau soit interdite de manière générale à la frontière canadienne, le gouvernement fédéral a prévu certaines exceptions précises dans le cadre de son plan frontalier.  

Par conséquent, les demandeurs qui font partie des catégories d’exception suivantes pourront faire une demande de statut temporaire directement à la frontière terrestre canadienne et obtenir des services le jour même3 :

  • Les citoyens et résidents permanents légaux des États-Unis d’Amérique ;
  • Les professionnels et techniciens en vertu des accords de libre-échange avec les États-Unis/Mexique, le Chili, le Panama, le Pérou, la Colombie et la Corée du Sud ;
  • Les conjoints ou conjoints de fait des professionnels et techniciens visés par les accords de libre-échange avec le Panama, la Colombie et la Corée du Sud ;
  • Les chauffeurs routiers internationaux titulaires d’un permis de travail, lorsqu’ils doivent quitter le Canada dans le cadre de leur emploi et qu’ils conservent un statut maintenu grâce au dépôt d’une demande de renouvellement avant leur départ ;
  • Les personnes ayant déjà un rendez-vous fixé avec l’ASFC pour le traitement d’un permis.
    • Il s’agit en fait des personnes qui avaient déjà reçu un rendez-vous avant l’instauration des nouvelles mesures mises en place par le gouvernement fédéral.

Quant à ceux qui ne font pas partie de ces catégories d’exception, ils doivent soumettre leurs demandes par l’intermédiaire des services en ligne qui sont mis à leur disposition. Selon les autorités, ces exceptions visent à offrir un certain degré de flexibilité tout en cherchant à répondre au problème central : la gestion de l’achalandage aux frontières. Cependant, dans un contexte où Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada doit présentement traiter plus de deux millions de demandes d’immigration et que seulement 63 % de ces demandes réussissent à respecter les normes de services établies, il est à prévoir que les délais de traitement pourraient augmenter encore davantage au courant des prochaines semaines et mois si les autorités n’affectent pas davantage de ressources au traitement des demandes.

III– LES IMPACTS DES NOUVELLES MESURES ET L’INTERPRÉTATION DES AUTORITÉS COMPÉTENTES

Les nouvelles mesures mises en place par le gouvernement fédéral visant à interdire la pratique du tour du poteau sont claires concernant la volonté de diminuer l’achalandage aux points d’entrée terrestre canadiens.

Toutefois, la définition utilisée par le gouvernement fédéral quant au tour du poteau a finalement imposé de nouvelles restrictions qui ont un impact encore plus important pour les demandeurs. En effet, le gouvernement fédéral définit le tour du poteau comme étant : « […] lorsque des ressortissants étrangers qui ont le statut de résident temporaire au Canada quittent le Canada et, après une visite aux États-Unis ou à Saint-Pierre-et-Miquelon, y reviennent pour accéder aux services d’immigration à un point d’entrée »4.

Dans cette définition, le gouvernement fédéral n’a donc pas précisé que le tour du poteau visait uniquement le passage à la frontière terrestre canadienne, mais laisse également la porte ouverte à des restrictions à un tour du poteau qui serait effectué de manière aérienne.

De manière concrète, plusieurs avocats et professionnels ont déjà signalé le fait que plusieurs de leurs clients se sont vus refuser la possibilité de présenter une demande de statut temporaire lors de leur retour au Canada par avion après un court voyage aux États-Unis. Les agents des services frontaliers semblent notamment utiliser la définition ci-haut afin de confirmer que le demandeur tenterait en fait d’utiliser la pratique du tour du poteau et que cette pratique n’est dorénavant plus permise.

Force est de constater que les nouvelles restrictions mises en place par le gouvernement fédéral ne visent donc pas seulement à restreindre le tour du poteau à la frontière terrestre, mais également de manière aérienne. En conséquence, l’interdiction du tour du poteau, bien qu’elle vise à alléger la pression sur les agents frontaliers, crée des incertitudes pour de nombreux résidents temporaires. En raison des longs de délais de traitement actuels pour le traitement des demandes de résidence temporaire, l’interdiction du tour du poteau fait en sorte que plusieurs demandeurs sous un statut conservé se sentent coincés au Canada et se voient limiter dans la possibilité d’effectuer des voyages à l’étranger durant le traitement de leur demande.

CONCLUSION

Les nouvelles restrictions visant à interdire la pratique du tour du poteau auront comme conséquence principale que les demandeurs et les employeurs concernés devront planifier de manière stratégique et méthodique les demandes de renouvellement de statut temporaire.

Considérant que les délais de traitement pour les demandes soumises en ligne ne font qu’augmenter depuis le début de l’année 20255, il devient encore plus important de planifier un processus de renouvellement de statut temporaire. Dans certains cas, il est même favorable d’anticiper une hausse des délais de traitement et ainsi entamer le processus de manière encore plus proactive, si jamais cela est possible.


  1. Me Marc-Alexis Laroche est avocat principal du bureau de Montréal Avocats Galileo Partners inc. Il possède plus de cinq ans d’expérience en immigration d’affaires et mobilité internationale. L’auteur tient à remercier Madame Lauren Rouben, étudiante en droit, pour sa contribution à la rédaction de cet article. ↩︎
  2. GOUVERNEMENT DU CANADA, Agence des services frontaliers du Canada, Communiqué de presse – La fin du tour du poteau pour les permis de travail et d’études à la frontière, 23 décembre 2024, en ligne : <https://www.canada.ca/fr/agence-services-frontaliers/nouvelles/2024/12/la-fin-du-tour-du-poteau-pour-les-permis-de-travail-et-detudes-a-la-frontiere.html>. ↩︎
  3. Ibid. ↩︎
  4. Ibid. ↩︎
  5. GOUVERNEMENT DU CANADA, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, Vérifiez nos délais de traitement actuels, en ligne : <https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/services/demande/verifier-delais-traitement.html>. ↩︎

Marc-Alexis LAROCHE

À propos de Marc-Alexis Laroche

Marc-Alexis Laroche est avocat au sein de notre groupe de pratique en immigration canadienne. À ce titre, il conseille les clients de Galileo en matière d’immigration d’affaires. Les clients sous sa responsabilité œuvrent dans une multitude de secteurs, dont les secteurs manufacturier, minier et des technologies. Ses conseils et interventions dans les dossiers qu’il pilote sont essentiels pour les clients de Galileo, ces derniers étant soumis à des enjeux de rétention de talents, d’embauche de talents étrangers et d’immigration.

Marc-Alexis est un avocat qui offre des services axés sur les résultats; sa capacité à bien comprendre les besoins des clients et à proposer des solutions pratiques et créatives est intrinsèque à sa manière de pratiquer. De plus, Marc-Alexis maintient une approche client personnalisée et attentive, et ce, tout en gérant un important volume de demandes.

Comme avocat, Marc-Alexis pratique exclusivement en immigration d’affaires. Il est ainsi en mesure de conseiller les clients de Galileo avec confiance et efficacité sur des questions relatives aux permis de travail, aux permis d’études, aux statuts de visiteurs, à la résidence permanente et aux questions d’immigration propres au Québec. Marc-Alexis est titulaire d’un baccalauréat en études politiques appliquées (B.A.) et d’un baccalauréat en droit (LL.B). Il s’est joint à l’équipe de Galileo Partners en 2017 à titre d’étudiant en droit.

-

Vous voulez en savoir plus?

Untitled(Nécessaire)

Autres articles

Articles dans la même catégorie

Immigration
31 octobre 2025

La fin de la pratique du « tour du poteau » : quels sont les impacts pour les demandeurs et les employeurs ?

Marc-Alexis Laroche, avocat chez Galileo Partners, présente les récentes limitations réglementaires mises en place, tout en identifiant les impacts pour les demandeurs et les employeurs qui tentent de recourir à ce genre de pratique.

Lire l'article
Immigration
17 octobre 2025

Le Programme de sélection des travailleurs qualifiés (PSTQ) – La nouvelle voie vers l’immigration permanente au Québec

À la suite de la suspension du Programme de l’expérience québécoise (PEQ) en juin 2025, le gouvernement du Québec a officiellement déployé le Programme de sélection des travailleurs qualifiés (PSTQ) comme principale voie d’accès au Certificat de sélection du Québec (CSQ). Les premières invitations à présenter une demande de sélection permanente ont été progressivement émises dès juillet 2025, confirmant l’entrée en vigueur concrète du PSTQ. Nicolas Simard-Lafontaine fait le point sur les éléments clés de cette réforme.

Lire l'article
Small-Drapeau-Canada Immigration
7 octobre 2025

EIMT et postes à bas salaire : Quelles sont les exceptions aux mesures imposées par les autorités en immigration visant à restreindre l’embauche de travailleurs étrangers?

Les règles encadrant l’embauche de travailleurs étrangers temporaires au Canada ont été considérablement resserrées au cours de la dernière année. Certaines exceptions permettent néanmoins aux employeurs d’être exemptés de l’application de ces mesures. Dans cet article, l’auteure présente ces exceptions et les conditions permettant aux employeurs d’en bénéficier.

Lire l'article