Cinq prévisions sur le système d’immigration canadien pour 2025: Une perspective québécoise

Temps de lecture : 8 min 33s
2 janvier, 2025

Introduction

L’immigration est un pilier de la croissance démographique et économique du Canada qui évolue constamment au gré de l’opinion publique et des décisions politiques. En 2025, plusieurs tendances clés se dessinent pour brosser un portrait qui propose en premier plan des concepts de limitations, de resserrements, de diminutions, de suspensions et d’abolitions. Le virage vers des politiques d’immigration de plus en plus strictes et restrictives continuera à s’opérer en 2025.

Voici les 5 prévisions pour 2025:

  • Diminution des niveaux d’immigration;
  • Explosion des délais de traitement;
  • Des refus à tort ou à raison des demandes d’immigration temporaire;
  • L’incertitude omniprésente; et
  • Le respect des conditions du séjour deviendra essentiel.

1. Diminution des niveaux d’immigration

Chaque année au mois d’octobre, le Canada et le Québec annoncent leurs cibles d’immigration permanente pour les années à venir. Habituellement, les cibles fixées sont atteintes.

Après avoir affiché des objectifs ambitieux depuis 2015 ayant atteint 485 000 nouveaux immigrants permanents en 2024, le gouvernement canadien a choisi d’adopter une approche plus mesurée en 2025. Le Plan des niveaux d’immigration 2025-2027 prévoit une diminution progressive du nombre de nouveaux résidents permanents : 395 000 en 2025, 380 000 en 2026 et 365 000 en 2027.1

Pour sa part, en 2025, le Québec prévoit que 48 500 à 51 500 immigrants permanents seront admis, avec une priorité accordée à l’immigration économique francophone. Pour ne pas dépasser ses cibles, le Québec introduit des suspensions de programmes d’immigration permanente pour les diplômés et pour certains travailleurs qualifiés sans expérience de travail au Québec.2

Le gouvernement canadien introduit aussi des cibles d’immigration temporaire pour la première fois. Il nomme l’objectif de diminuer le nombre d’immigrants temporaires au Canada à une proportion de 5% de la population canadienne d’ici à la fin 2026. De nombreuses mesures sont déjà mises en place pour diminuer rapidement le nombre d’immigrants temporaires d’environ 445 000 immigrants temporaires en 2025 et en 2026. En résultera une diminution prévue de la population canadienne pour cette période.3

L’objectif nommé du gouvernement du Canada et du gouvernement du Québec est ainsi la diminution du nombre d’immigrants temporaires et permanents. Je suis d’avis que l’atteinte de l’objectif d’immigration permanente est possible, mais qu’il pourrait être atteint au détriment de l’objectif de diminution du nombre de résidents temporaires tel qu’exposé subséquemment.

2. Explosion des délais de traitement

Depuis 2015, le nombre de ressortissants étrangers titulaires de statuts temporaires est en hausse constante. Prenons par exemple la combinaison des permis de travail détenus sous le Programme de Mobilité International (PMI) et sous le Programme des Travailleurs Étrangers Temporaires (PTET) qui est passé de 246 000 en 2015 à 950 000 en 2023 ce qui représente une hausse de près de 400%.4

En parallèle, la capacité de traitement d’IRCC demeure limitée malgré d’importants ajouts à ses effectifs et à ses outils technologiques au cours des dernières années.

Je prédis qu’une pression de la demande sur IRCC se poursuivra en 2025, notamment à cause des quatre facteurs suivants :

  • La fin de la possibilité de faire le tour du poteau et l’impossibilité de renouveler des statuts temporaires autrement qu’auprès d’IRCC;5
  • La baisse des cibles d’immigration permanente au Québec et au Canada qui obligera les ressortissants étrangers déjà au Canada en statut temporaire de renouveler leur statut temporaire dans l’attente de la résidence permanente;
  • La suspension de certaines voies d’accès à l’immigration permanente pour les travailleurs moins qualifiés, néanmoins nécessaires à certaines industries;
  • Le climat géopolitique mondial susceptible de causer une augmentation :
    • Des demandes d’admission temporaires au Canada;
    • Des demandes pour motifs humanitaires; et
    • Des demandes d’asile.

Les titulaires d’un statut temporaire devront bien prévoir le renouvellement de leur statut et s’assurer que leurs demandes soient parfaitement complétées pour limiter les risques de complexifier ou d’échouer leur parcours d’immigration au Canada. Prévoir son renouvellement 12 mois ou plus à l’avance deviendra la meilleure pratique à adopter.

3. Des refus à tort ou à raison des demandes d’immigration temporaire

L’adéquation de plusieurs facteurs dont l’augmentation du volume de demandes à traiter, les relations avec les États-Unis et la volonté annoncée du Canada de réduire le nombre de résidents temporaires risquent de contribuer à l’augmentation du nombre de refus des demandes.

Avec les cibles de réduction du nombre de résidents temporaires annoncés, j’estime qu’IRCC est susceptible de resserrer l’analyse des demandes de statuts temporaires afin de tenter d’atteindre l’objectif ambitieux du 5% d’ici la fin de l’année 2026.

Ainsi, dans le contexte d’une demande initiale ou d’une demande de renouvellement, il ne suffira plus de compléter les formulaires et de justifier au minimum. La discrétion décisionnelle des agents d’IRCC risquera de pencher de plus en plus souvent vers une décision de refus.

En cas de refus, les conséquences sont toujours importantes pour les ressortissants étrangers. Bien que des recours judiciaires existent, les effets d’un refus sont tangibles et impactent directement la vie des demandeurs et parfois de leur employeur.

Il sera donc plus pertinent que jamais d’avoir recours aux services d’un avocat en immigration pour minimiser les risques de refus.

4. L’incertitude omniprésente

Depuis la fin de l’été 2024, les programmes d’immigration changent constamment, la plupart du temps pour limiter leurs portées. Pensons notamment aux modifications dans le volet bas-salaire du PTET,6 à l’ajout de conditions pour les transferts intra compagnie, à la suspension des programmes d’immigration permanente au Québec ou encore à la fin des tours du poteau.

L’incertitude se poursuivra probablement en 2025 notamment à cause de la volonté des gouvernements de diminuer l’immigration temporaire et permanente au Canada, des élections fédérales à venir et de l’arrivée du Président Trump à la Maison-Blanche qui provoquera des négociations sur la sécurité à la frontière canadienne et sur l’accord de libre-échange Canada, États-Unis, Mexique.

À mon avis, ce climat d’incertitude milite en faveur d’une attitude opportuniste visant à se prévaloir des programmes d’immigration existants le plus rapidement possible pendant qu’ils sont disponibles.

Certains changements sont cependant prévisibles pour des professionnels renseignés. Habituellement, un avocat en immigration aura une bonne lecture de système et permettra d’agir de manière proactive.

5. Le respect des conditions du séjour deviendra essentiel

Le respect des conditions du séjour des ressortissants étrangers au Canada (activités, employeur, établissement scolaire, lieu de travail, poste, etc.) a toujours été essentiel sur le plan juridique. Or dans les faits, plusieurs employeurs et ressortissants étrangers ne s’en préoccupaient que sommairement puisque les conséquences étaient souvent absentes de part et d’autre.

À mon avis, 2025 marquera un point tournant; il sera plus que jamais nécessaire de porter une attention particulière aux conditions d’un séjour au Canada.

D’une part, pour les ressortissants étrangers, le non-respect des conditions du séjour est susceptible d’entrainer un refus d’une demande de renouvellement de statut temporaire ou de résidence permanente.

Puisque les politiques visent maintenant la réduction du nombre d’immigrants temporaires et permanents au Canada, le non-respect des conditions du séjour au Canada offrira un motif évident à un agent d’immigration pour refuser une demande.

Au Québec, le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) dispose de pouvoirs élargis depuis 2023 pour rejeter des demandes qui lui sont présentées. Le rejet est possible notamment lorsque le demandeur « n’a pas respecté une condition imposée en vertu du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227) alors qu’il séjournait au Québec dans les 5 ans précédant l’examen de la demande ».7 En pratique nous constatons une augmentation du nombre de rejets de demandes par le MIFI sur la base de ces nouvelles dispositions.

D’autre part, les employeurs sont visés par des obligations générales en matière d’immigration8 ainsi qu’à des obligations propres aux permis de travail rattachés à leurs entreprises.

Les obligations propres à l’employeur imposent notamment de respecter les conditions de travail déclarées dans la demande de permis de travail d’un travailleur étranger.9 Les employeurs sont susceptibles d’être inspectés par les services d’immigration quant au respect de ces conditions.

En pratique, le nombre d’inspections d’employeurs est en croissance. Plus de 320 entreprises canadiennes ont été jugées non conformes en 2023 et 202410.

J’estime que les conséquences du non-respect des conditions d’un séjour seront de plus en plus matérielles en 2025 et dans les années à venir. Il deviendra essentiel de veiller à ce qu’elles soient observées plus strictement.

Conclusion

J’estime que le nombre d’immigrants va demeurer élevé au Canada en 2025 et que le nombre de demandes de statuts temporaires présentés à IRCC pourrait même atteindre des sommets considérant que le nombre de résidents temporaires au Canada est élevé à l’heure actuelle et que simultanément les cibles d’admission de nouveaux résidents permanents seront à la baisse.

Au cours de l’année, les règles vont fort probablement continuer à se resserrer; ainsi les ressortissants étrangers et les entreprises qui les embauchent devront naviguer dans un système plus restrictif et subissant de constants changements qui leur seront la plupart du temps défavorables.

Pour les ressortissants étrangers et leurs employeurs, l’improvisation devra céder sa place à la planification pour éviter de subir directement les conséquences souhaitées par les gouvernements qui visent une réduction du nombre d’immigrants temporaires et permanents au Canada et au Québec.

Note importante : Les propos dans cet article ne sont pas des conseils juridiques et constituent uniquement l’analyse et les prévisions de l’auteur pour 2025. Les politiques d’immigration sont susceptibles de changer en tout temps et les prévisions exposées pourraient ne pas s’avérer en 2025. Pour des conseils juridiques en immigration, la consultation d’un avocat est requise.


  1. Renseignements supplémentaires sur le Plan des niveaux d’immigration 2025-2027 à l’adresse: https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/nouvelles/avis/renseignements-supplementaires-niveaux-immigration-2025-2027.html ↩︎
  2. Plan d’immigration du Québec 2025 à l’adresse: https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/immigration/publications-adm/plan-immigration/PL_immigration_2025_MIFI.pdf ↩︎
  3. Plan des niveaux d’immigration 2025-2027à l’adresse : https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/nouvelles/2024/10/plan-des-niveaux-dimmigration-2025-2027.html ↩︎
  4. Jeux de donnés de “Gouvernement ouvert” produites par le Gouvernement du Canada, EN ODP-TR-WORK-TFW-PT-NOC4.xlsx et EN ODP annual TR-work-TFW-PT program year end.xlsx; ↩︎
  5. La fin du tour du poteau pour les permis de travail et d’études à la frontière à l’adresse : https://www.canada.ca/fr/agence-services-frontaliers/nouvelles/2024/12/la-fin-du-tour-du-poteau-pour-les-permis-de-travail-et-detudes-a-la-frontiere.html ↩︎
  6. https://www.canada.ca/fr/emploi-developpement-social/services/travailleurs-etrangers.html ↩︎
  7. Règlement sur l’immigration au Québec, chapitre I-0.2.1, r. 3 à l’article 104.2 ↩︎
  8. Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (L.C. 2001, ch. 27) aux articles 124 et 125 ↩︎
  9. Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227) aux articles 209.1 et suivants ↩︎
  10. https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/services/travailler-canada/employeurs-non-conformes.html ↩︎

Nicolas SIMARD-LAFONTAINE

À propos de Nicolas Simard-Lafontaine

Nicolas Simard-Lafontaine est l’un des associés fondateurs de Galileo. Depuis son admission au Barreau du Québec, il pratique exclusivement en immigration d’affaires auprès d’entreprises et d’entrepreneurs.

Nicolas s’implique directement auprès de plusieurs clients d’affaires de Galileo dans le cadre de dossiers sensibles ou complexes. Il agit notamment auprès de clients dans les domaines du génie civil, de la construction, de la fabrication et des technologies. Nicolas utilise une approche stratégique à long terme dans les dossiers qu’il pilote. Il permet ainsi aux clients de Galileo de naviguer avec aise dans leurs projets d’affaires comportant des composantes liées à l’immigration, comme la construction d’une nouvelle usine, l’acquisition par un groupe étranger d’une entreprise canadienne, l’implantation d’activités au Canada, la construction d’infrastructures essentielles ou encore la mise en place des processus internes nécessaires à la gestion d’un volume grandissant de questions liées à l’immigration.

Nicolas est également membre de l’équipe de direction où il pilote plusieurs projets commerciaux et d’amélioration continue.

Nicolas s’implique aussi dans la communauté juridique en siégeant au comité directeur de l’Association canadienne des Avocats en Immigration (ACAI) et sur le comité exécutif de la division du Québec de la section immigration et citoyenneté de l’Association du Barreau canadien. Dans le cadre de ces comités, il commente fréquemment les politiques gouvernementales en contribuant à la rédaction de lettres aux ministères concernés, en publiant des articles, en commentant les politiques et en participant à diverses rencontres avec les ministères et les agences gouvernementales impliqués dans le système d’immigration.

Nicolas est titulaire d’un Baccalauréat en administration des affaires (B.A.A.) de HEC Montréal et d’un Baccalauréat en droit civil (L.L.B) de l’Université de Sherbrooke. Il figure sur les palmarès Who’s Who Legal (WWL), Chambers & Partners et LExpert dans la catégorie des avocats les plus recommandés au Canada en immigration d’affaires.

-

Vous voulez en savoir plus?

Untitled(Nécessaire)

Autres articles

Articles dans la même catégorie

Immigration
10 février 2025

Le gouvernement canadien indique son intention d’imposer des amendes monétaires plus strictes sous le programme des travailleurs étrangers temporaires

Au cours de la dernière année, les membres de notre équipe de professionnels ont constaté une augmentation de la fréquence des inspections menées par Emploi et Développement Social Canada (EDSC). Un communiqué de presse de leur part, publié le 17 janvier dernier, confirme cette position plus ferme. Le présent texte survole les éléments importants de ce communiqué ainsi que nos recommandations afin d’être prêt à répondre à une inspection future.

Lire l'article
Recrutement international vers le Québec et le Canada Immigration
2 janvier 2025

Cinq prévisions sur le système d’immigration canadien pour 2025: Une perspective québécoise

Introduction L’immigration est un pilier de la croissance démographique et économique du Canada qui évolue constamment au gré de l’opinion publique et des décisions politiques. En 2025, plusieurs tendances clés se dessinent pour brosser un portrait qui propose en premier plan des concepts de limitations, de resserrements, de diminutions, de suspensions et d’abolitions. Le virage […]

Lire l'article
Travailleurs construction Immigration
30 novembre 2024

Gestion des travailleurs étrangers – Premiers pas vers de meilleures pratiques en matière de ressources humaines : Apporter les correctifs nécessaires

Il est de plus en plus difficile de pratiquer en ressources humaines sans avoir à se pencher sur des questions entourant les ressortissants étrangers. Il est encore plus difficile de savoir par où commencer lorsque l’on veut mettre en place des processus pour mieux gérer ces personnes dans le respect de toutes les lois provinciales et fédérales applicables. Le présent texte est le troisième et dernier article d’une série de trois destinés aux employeurs qui souhaitent faire les premiers pas vers de meilleures pratiques en matière de gestion des travailleurs étrangers temporaires.

Lire l'article