En mai 2022, le législateur québécois adoptait le projet de loi 96, aussi intitulé Loi sur la langue officielle et commune du Québec, un projet qui apporte d’importantes modifications à la Charte de la langue française (ci-après « la Charte »), ainsi qu’à plus de 25 autres lois québécoises, notamment le Code civil du Québec et qui pourrait avoir un impact sur l’immigration au Québec.
La réforme introduite entraînera des répercussions dans divers secteurs, notamment dans le monde des affaires, de l’éducation et de l’administration publique en imposant de nouvelles obligations liées à l’utilisation de la langue française. La Loi 96 vient ainsi présenter le français comme seule langue officielle du Québec.
Inévitablement, la Loi 96 aura des impacts directs et indirects sur le système d’immigration du Québec. Peu d’impacts en matière d’immigration sont explicitement prévues à la Loi 96 or nous estimons que l’immigration sera parmi les premiers champs de compétence provincial à être affecté par des mesures découlant de l’esprit de la Loi 96.
Dans le cadre de cet article, nous vous exposons dans leur ensemble les principaux impacts perçus de la Loi 96.
Affaires et l’emploi
- Toute entreprise qui embauche plus de 25 employés devra mettre en place un programme de francisation. La création d’un comité de francisation pourrait également être exigée de l’Office québécois de la langue française pour les entreprises de moins de 100 employés;
- Tout affichage public et publicité commerciale doit être en français, de manière « nettement prédominante », lorsqu’il est visible de l’extérieur d’un local commercial;
- La clientèle devra être informée et servie en français;
- Un employeur ne pourra plus exiger la maîtrise d’une langue autre que le français dans le cadre d’une embauche si les tâches de l’employé n’exigent pas la connaissance d’une telle langue. L’employeur devra également prendre des mesures raisonnables pour limiter l’exigence de la connaissance d’une langue autre que le français au travail;
- Les mesures raisonnables sont prévues dans la Loi 96 et il incombera à l’employeur d’en faire la démonstration;
- Nous croyons que cette mesure aura des impacts en matière d’immigration dans le cadre de demande de Certificats d’acceptation du Québec (CAQ) sous le volet des travailleurs.
- Les communications entre un employeur et ses employés devront être en français, sauf exception. Tout contrat d’emploi incluant ceux de mutation et de promotion, ainsi que les documents de formation et les formulaires de candidature à l’emploi devra être rédigé en français;
- L’affichage d’une offre d’emploi devra désormais se faire en français;
- Dans le cadre de la conclusion d’un contrat, les clauses stipulant le choix d’une langue ne seront plus valides, sauf exception;
- L’inscription de sûretés au Registre des droits personnels et réels mobiliers devra également se faire en français.
Éducation
- Imposition d’un plafond à la limite du nombre d’étudiants que chaque Cégep anglophone de la province de Québec peut accueillir chaque année;
- Avant d’obtenir son diplôme d’études collégiales, un étudiant inscrit dans un établissement collégial anglophone devra réussir un minimum de 3 cours en français, excluant les cours de langue d’enseignement et de langue seconde;
- L’étudiant inscrit dans un établissement collégial anglophone devra réussir une épreuve uniforme de français pour obtenir son diplôme d’études collégiales, à moins d’en être exempté, ce qui sera notamment le cas des étudiants déclarés admissibles à l’enseignement en anglais à l’école primaire et secondaire.
Administration publique
- Les communications entre une entreprise (incluant ses représentants, notamment ses avocats) et le Gouvernement du Québec et ses organismes devront être en français, sauf exception. Ces communications incluent d’ailleurs les actes de procédure devant les tribunaux du Québec, qui devront être en français ou accompagnés d’une traduction certifiée;
- Un jugement rendu en anglais par l’un des tribunaux judiciaires au Québec sera automatiquement traduit en français, lorsqu’il met fin à une instance ou qu’il est d’intérêt public. Un jugement rendu en anglais pourra également être traduit en français à la demande de toute personne;
- La Cour du Québec et les cours municipales pourraient se voir interdire l’imposition de la maîtrise de l’anglais à leurs juges;
Immigration
- Les immigrants qui résident au Québec depuis plus de 6 mois ne pourront plus recevoir des communications de l’État dans une autre langue que le français, sauf exception, notamment en matière de santé et sécurité publique;
- Un nouvel organisme, Francisation Québec, serait mis en place pour vérifier le respect des obligations en matière de francisation des employeurs qui engagent des travailleurs étrangers temporaires. Un employeur qui manque à ses obligations pourrait devenir inéligible aux contrats publics.
Pénalités en cas de non-conformité
Toute entreprise qui contreviendra à la Loi sur la langue officielle et commune du Québec et par le fait même, à la Charte de la langue française, pourra s’exposer à des amendes monétaires de plusieurs milliers de dollars, tout dépendant de la nature de l’infraction et de sa fréquence :
- Première infraction : De 3 000$ à 30 000$;
- Deuxième infraction : De 6 000$ à 60 000$;
- Infraction subséquente : De 9 000$ à 90 000$.
Commentaires de nos experts
Alors que le projet de loi 96 ne semble pas avoir un impact direct sur l’immigration, outre les éléments mentionnés ci-haut, il est certain qu’il aura un impact indirect à moyen et long terme.
Toute personne qui ne parle pas le français fera face à des barrières de langue, à la fois dans le monde des affaires, mais également dans ses communications avec l’État. Les enfants des immigrants pourraient faire face à des difficultés dans la poursuite de leurs études dans le système anglophone, particulièrement au niveau collégial. On peut également s’attendre à ce que toute documentation en matière d’immigration québécoise doive être préparée en français, y compris les formulaires gouvernementaux et les documents de soutien à une demande.
Une personne immigrante anglophone dont la connaissance du français est très limitée et qui est domiciliée au Québec pourrait faire face à plusieurs difficultés au cours des prochaines années.
Au cours des dernières semaines, le gouvernement québécois a également démontré un intérêt marqué pour le rapatriement de certains pouvoirs en matière d’immigration, pouvoirs qui appartiennent actuellement au gouvernement fédéral. Il souhaite ainsi accroître le nombre d’immigrants francophones dans certaines catégories pour lesquelles il ne détient actuellement aucun pouvoir, notamment les regroupements familiaux. Un tel transfert de pouvoirs pourrait entraîner des conséquences importantes sur le recrutement de travailleurs étrangers anglophones dans la province de Québec. Pour l’instant, le gouvernement fédéral est catégorique qu’il ne permettra pas un tel transfert de pouvoirs et qu’il a l’intention de protéger les communautés anglophones du Québec.
Conclusion
L’adoption controversée du projet de loi 96 aura certainement des conséquences importantes pour les communautés anglophones et allophones, incluant les immigrants. Alors que beaucoup de questions et d’insatisfactions subsistent, une politique linguistique qui vient préciser la portée des modifications législatives adoptées devrait voir le jour au cours de la prochaine année. Des précisions quant à l’entrée en vigueur des modifications annoncées sont également à prévoir au cours des prochaines semaines.
Pour toute question en lien avec l’adoption de ce projet de loi et ses impacts en matière d’immigration, nous vous invitons à communiquer avec nos experts qui pourront répondre à vos questions et vous conseiller.