Auteurs :
Marc-Alexis Laroche et Mathilde Laroche1
Résumé
En octobre 2024, le gouvernement fédéral a apporté des modifications aux certains critères qui sont propres aux demandes de permis de travail visant les personnes mutées à l’intérieur d’une société canadienne dans le cadre du Programme de mobilité internationale.
Dans cet article, les auteurs présentent les récentes modifications apportées, tout en identifiant l’impact pour les demandeurs et les employeurs qui tentent de recourir à ce type de permis de travail.
Nos avocats en immigration collaborent périodiquement avec les éditions Yvon Blais à la rédaction d’articles de fonds et de mises à jour juridiques. Cet article a initialement été publié dans le « Bulletin en ressources humaines » en septembre 2025 sous la cote EYB2025BRH2802. Son format a été légèrement altéré pour rencontrer les exigences de format du site web de Galileo Partners.
*Les informations contenues dans cet article sont à jour à la date de sa publication.
INTRODUCTION
Dans la très grande majorité des cas, un ressortissant étranger qui souhaite travailler légalement au Canada doit obtenir un permis de travail canadien. Pour ce faire, il existe deux programmes d’immigration, soit le Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) et le Programme de mobilité internationale (PMI).
Bien que le PTET soit la voie la plus commune pour l’obtention d’un permis de travail, il demeure que le PMI sera, en général, le processus le plus simple pour l’obtention d’un permis de travail canadien.
Le PMI est donc souvent favorisé par les employeurs et les demandeurs, puisqu’il permet d’éviter le processus de demande d’évaluation sur le marché du travail (EIMT) – un processus qui est coûteux, long et qui nécessite de nombreuses interventions de la part des employeurs2.
Cependant, il est important de noter que le PMI est généralement plus restrictif. Afin de pouvoir présenter une demande sous ce programme, le demandeur et l’employeur doivent respecter une série de critères bien définis et stricts.
Parmi les différentes options offertes par le PMI, trois peuvent être regroupés ensemble, soit les demandes de permis de travail pour les personnes mutées à l’intérieur d’une entreprise canadienne (les transferts intra-société).
En octobre 2024, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) a apporté certaines modifications concernant l’exécution de ses programmes d’immigration, ce qui inclut des modifications pour l’ensemble des catégories de permis de travail visant les transferts intra‑société3.
I– LES CRITÈRES GÉNÉRAUX AFIN D’OBTENIR UN PERMIS DE TRAVAIL POUR UN TRANSFERT INTRA-SOCIÉTÉ
Tel qu’indiqué plus haut, le PMI comporte notamment trois catégories de permis de travail pour les transferts intra-société. Ces catégories se divisent selon des codes administratifs suivants : C61, C62 et C634.
Les demandes de permis de travail présentées sous le code C61 s’adressent aux ressortissants étrangers qui travailleront au Canada afin d’établir une succursale, une filiale ou une entreprise affiliée à une société située à l’étranger. Ceux-ci doivent déjà travailler pour la société à l’étranger dans un poste de cadre, de gestionnaire ou dans un poste nécessitant des connaissances spécialisées.
Les permis de travail de type C62 visent plutôt les ressortissants étrangers qui occupent un poste de cadre ou de gestionnaire à l’étranger et qui sont maintenant appelés à occuper un poste similaire au Canada au sein d’une entreprise qui fait partie du même groupe corporatif.
Les permis de travail de type C63 s’adressent aux ressortissants étrangers qui occupent un poste nécessitant des connaissances spécialisées et qui seront appelés à occuper un poste similaire pour une entreprise 000canadienne qui fait partie du même groupe corporatif.
En plus de certains critères spécifiques à chaque code administratif, le demandeur doit aussi respecter les critères généraux suivants :
- Le demandeur doit avoir travaillé pour une entreprise à l’étranger, dans un poste similaire, pendant au moins un an, à temps plein et sans interruption, au cours des trois années précédant la date de présentation de la demande de permis de travail.
- L’emploi à l’étranger du demandeur doit demeurer disponible afin qu’il puisse y retourner à la fin de son mandat au Canada.
- Le demandeur doit être transféré à une entreprise canadienne qui a une relation admissible, soit de société mère, filiale, succursale ou de société affiliée à l’entreprise étrangère. Cette société doit également être activement engagée au Canada.
II– La MODIFICATION NO 1 : DÉFINITION D’UNE MULTINATIONALE
Comme indiqué ci-haut, et afin d’être admissible à présenter une demande de permis de travail sous la catégorie transferts intra-société, le demandeur doit démontrer qu’il occupe un emploi à l’étranger similaire à celui offert au Canada, et ce, depuis plus d’un an au cours des trois dernières années. Ce poste doit avoir été occupé au sein d’une entreprise étrangère qui est une multinationale.
Ainsi, l’une des plus récentes modifications apportées par les services d’immigration est la définition d’une multinationale. Cette définition a récemment été modifiée pour : « une entreprise qui exerce des activités commerciales génératrices de revenus dans au moins un pays autre que son pays d’origine et génère des revenus au-delà de ses frontières ».
En d’autres termes, l’entreprise à l’étranger pour laquelle le demandeur travaille doit avoir un siège social établi dans un pays et avoir des bureaux ou filiales établis dans minimalement un autre pays.
Par exemple, un travailleur français occupe un poste depuis plus d’un an pour une société située en France. Ce dernier devra être muté à titre de gestionnaire auprès d’une filiale située au Canada et qui est déjà établie depuis plusieurs années. Dans ce cas-ci, il est possible de qualifier la société française comme une multinationale, considérant qu’il existe une filiale déjà établie au Canada.
Les modifications à la définition de multinationale peuvent donc avoir un impact plus important au niveau des demandes de permis de travail présentées sous le code administratif C61.
En effet, les permis de travail sous le code administratif C61 s’adressent aux ressortissants étrangers qui désirent établir une société au Canada. Dans un tel scénario, il faudra tout de même démontrer que la société à l’étranger est une multinationale.
Si l’on reprend le même exemple que celui exposé plus haut, il serait alors impossible pour le travailleur français d’obtenir un permis de travail sous cette catégorie. En effet, le simple fait d’avoir uniquement une société mère à l’étranger et d’en établir une nouvelle au Canada ferait en sorte que la définition de multinationale ne serait pas respectée. Si la personne vient établir une première filiale au Canada et qu’il n’y en a aucune autre entité à l’international, les services d’immigration sont clairs sur le fait que la personne n’est pas en mesure d’obtenir un permis de travail sous le code administratif C61.
III– LA MODIFICATION NO 2 : DÉFINITION DE CONNAISSANCES SPÉCIALISÉES
Comme mentionné ci-dessus, les permis de travail sous le code administratif C63 s’adressent aux travailleurs qui possèdent des connaissances spécialisées.
En plus de la définition de multinationale, les services d’immigration ont également apporté des précisions quant à la définition de connaissances spécialisées. La définition indique que l’on vise des gens qui possèdent à la fois des connaissances exclusives avancées et un niveau d’expertise avancée. Il est essentiel de démontrer que le demandeur possède ces deux éléments.
Les récentes modifications ont apporté plus de précisions à ce qui est reconnu comme étant un « niveau d’expertise avancée ». En effet, ce niveau exige des compétences ou des connaissances acquises au cours d’une expérience de travail appréciable et récente au sein de l’entreprise à l’étranger.
En d’autres termes, afin de démontrer un niveau d’expertise avancée, le demandeur doit démontrer au moins deux années d’expérience professionnelle dans le domaine visé (portion appréciable) au cours des trois dernières années avant la présentation de la demande (portion récente). Plus la personne possède d’années d’expérience, plus celle-ci sera susceptible d’avoir des connaissances spécialisées.
Il ne faut pas oublier que le demandeur doit en plus démontrer qu’il respecte les critères de base liés aux connaissances spécialisées, soit que la personne possède des compétences et connaissances peu communes sur le marché, que l’expertise de cette personne est requise au risque de perturber les activités de l’entreprise canadienne et que la personne possède des connaissances quant aux procédures ou savoir-faire exclusifs établis par l’entreprise à l’étranger.
En théorie, si une personne possède moins de deux années d’expérience professionnelle dans un domaine en particulier au sein de l’entreprise à l’étranger, cette personne ne serait pas admissible à présenter une demande de permis de travail sous le code C63, considérant que son niveau de connaissances spécialisées serait inférieur aux exigences.
Cependant, les services d’immigration ont précisé qu’une personne peut avoir un niveau d’expertise avancée s’il est démontré que celle-ci possède un niveau élevé de savoir-faire exclusif lié à l’entreprise à l’étranger combiné avec des études ou une expérience de travail importante, et ce, même si celle-ci ne possède pas au minimum deux années d’expérience professionnelle. Toutefois, il est à noter que ce genre de situation est très rare et nécessite de présenter de nombreuses preuves et documents à l’appui.
IV– LA MODIFICATION NO 3 : PRÉCISIONS QUANT À LA DURÉE MAXIMALE DE VALIDITÉ DES PERMIS DE TRAVAIL POUR CHAQUE CATÉGORIE
Les services d’immigration ont également apporté certaines précisions en ce qui concerne la durée maximale de validité qui peut être accordée aux permis de travail sous la catégorie des transferts intra-société, et ce, pour chaque code administratif.
Pour les demandes de permis de travail présentées sous le code C61, il est uniquement possible d’obtenir un permis de travail valide pour une période maximale d’un an.
Toutefois, il est tout de même précisé qu’il est possible de renouveler un permis de travail sous le code C61 dans la mesure où le demandeur peut démontrer qu’il y a eu des circonstances atténuantes hors de son contrôle qui ont retardé l’établissement de l’entreprise au Canada. Si la demande de renouvellement est acceptée, le permis de travail peut uniquement être renouvelé pour une période maximale de six mois.
Sinon, et si le demandeur est en mesure de démontrer qu’il a été en mesure de procéder à la création et l’établissement au Canada de l’entreprise, il est alors possible de renouveler le permis de travail sous le code de classification C62 ou C63.
Pour les permis de travail sous le code C62, la durée totale du séjour ne peut dépasser sept ans. Ainsi, le premier permis de travail peut être demandé pour une période maximale de trois ans et peut ensuite être renouvelé à nouveau pour une période maximale de deux ans à deux reprises.
Tandis que, pour les permis de travail sous le code C63, la durée totale du séjour ne peut dépasser cinq ans, soit une durée de validité maximale de trois ans pour le premier permis de travail et une durée maximale de deux ans lors d’un renouvellement.
V– LA MODIFICATION NO 4 : LIEU DE TRAVAIL
Les permis de travail délivrés sous la catégorie transferts intra-société sont des permis de travail dits « fermés ». C’est-à-dire que le détenteur peut uniquement travailler pour l’employeur indiqué, au poste indiqué et au lieu de travail indiqué sur le permis de travail.
Par conséquent, lors de la préparation de la demande de permis de travail, il est requis d’identifier où se situe le lieu de travail principal.
Les services d’immigration ont récemment apporté des précisions en ce qui concerne le lieu de travail pour les demandes de permis de travail sous la catégorie transferts intra-société.
D’abord, pour les permis de travail sous le code C61, même si le demandeur vient établir une société au Canada, il faut démontrer qu’il existe un local commercial physique. Par conséquent, on ne peut pas indiquer dans la demande que le travailleur effectuera son travail à partir d’une adresse résidentielle ou en utilisant une adresse d’un casier postal. Sinon, la demande de permis de travail pourrait être refusée.
Si la personne n’a pas trouvé de local commercial avant son arrivée au Canada, il est possible d’indiquer l’adresse du bureau d’un représentant juridique. Cependant, le demandeur doit démontrer qu’il a l’intention et sera en mesure de trouver un local commercial physique au moment de son arrivée.
Qui plus est, les services d’immigration rappellent que, si le travail peut être effectué à l’étranger, il faut démontrer la raison pour laquelle la présence du travailleur au Canada est requise. Le fait qu’il y ait un décalage horaire ne constitue pas un motif suffisant pour démontrer la nécessité de demeurer et travailler au Canada.
Ce principe est d’autant plus vrai pour les permis de travail sous le code C62, où le rôle de gestionnaire peut parfois être effectué à distance. Ainsi, il est important de démontrer la nécessité du rôle au Canada et l’impact que pourrait avoir l’absence du demandeur sur les opérations de l’entreprise.
Finalement, pour les permis de travail sous le code C63, les services d’immigration ont également précisé qu’il est possible pour un travailleur étranger temporaire de travailler au lieu de travail d’une entreprise tierce. Cependant, le travail effectué par le demandeur doit être supervisé et contrôlé par l’entreprise canadienne qui a contribué à l’obtention du permis de travail et non par la tierce entreprise. Par exemple, un expert en informatique est appelé à venir travailler au Canada pour la filiale de la maison mère où il travaille à l’étranger. Lors de son séjour au Canada, l’expert est appelé à se rendre aux bureaux d’un client de l’entreprise canadienne afin de corriger une anomalie qui ne saurait être réglée par un travailleur canadien en raison de sa complexité. Dans un tel cas, le travailleur canadien serait autorisé à travailler sur les lieux du client, car son travail serait ultimement assujetti au contrôle de l’entreprise canadienne qui a participé à la demande de permis de travail.
VI– LA MODIFICATION NO 5 : PRÉCISION QUANT AUX EXIGENCES SALARIALES
Les services d’immigration ont également apporté des précisions au niveau des exigences salariales pour ce type de demande, plus particulièrement pour les permis de travail sous le code C63.
En effet, les récentes modifications mentionnent que les travailleurs possédant des connaissances spécialisées doivent recevoir une rémunération équivalente au salaire minimum fixé dans la région où se situe le lieu de travail principal.
Pour ce faire, au moment de la préparation de la demande, l’employeur devra consulter la grille des salaires affichée sur le site Web de Guichet-Emplois en fonction du code lié à la profession offerte et identifier le salaire minimum de la région du principal lieu de travail5.
De plus, lorsque le travailleur possède des connaissances spécialisées, son salaire doit également être équivalent à celui d’un spécialiste dans le même domaine et doit être supérieur au salaire moyen du pays d’origine du travailleur.
CONCLUSION
Les modifications apportées par les autorités canadiennes étaient longtemps réclamées par plusieurs intervenants et parties prenantes en raison du fait qu’il subsistait plusieurs zones grises quant aux critères permettant d’obtenir un permis de travail sous la catégorie des transferts intra‑société.
Cependant, plusieurs des modifications introduites apportent également de nouvelles complexités qui n’existaient pas auparavant, telles que les changements à la définition d’une multinationale et le critère lié aux deux années minimales d’expérience professionnelle pour les demandeurs possédant des connaissances spécialisées.
Dans certains cas, ces clarifications pourraient avoir un impact important quant à l’admissibilité de certains travailleurs à présenter une demande de permis de travail sous la catégorie des transferts intra-société. Ainsi, nous recommandons de consulter un avocat spécialisé en immigration d’affaires afin de vérifier si un travailleur est admissible ou non à présenter une demande en vertu de ces catégories définies plus haut.
- Me Marc-Alexis Laroche est avocat principal du bureau de Montréal Avocats Galileo Partners inc. Il possède plus de 5 ans d’expérience en immigration d’affaires et mobilité internationale. Me Mathilde Laroche est avocate au sein du même bureau et pratique dans le même domaine. ↩︎
- Une EIMT est une approbation d’Emploi et Développement social Canada/Service Canada (EDSC) confirmant qu’il n’y a aucun Canadien ou résident permanent du Canada apte ou disponible afin d’occuper un emploi donné. Une fois l’EIMT approuvée, le travailleur étranger est alors en mesure de présenter une demande d’immigration temporaire pour une durée prédéterminée et aux conditions qui sont énoncées dans l’EIMT. Aux fins d’obtenir une EIMT positive, les employeurs doivent normalement faire des efforts de recrutement pour tenter d’identifier des Canadiens ou des résidents permanents du Canada aptes ou disponibles pour occuper l’emploi offert. De plus, les employeurs doivent normalement démontrer l’existence d’une pénurie dans le domaine, permettant ainsi l’embauche d’un travailleur étranger possédant l’expertise et les qualités recherchées. ↩︎
- La très grande majorité des modifications ont été apportées aux instructions de programme qui sont dictées par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. Par conséquent, aucune modification législative ou réglementaire n’a été effectuée. ↩︎
- Pour accéder aux instructions de programme qui visent les permis de travail de type transfert intra-société, il est possible de consulter le site Web suivant : <https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/organisation/publications-guides/bulletins-guides-operationnels/residents-temporaires/travailleurs-etrangers/codes-dispense.html>. ↩︎
- Pour accéder à l’outil du Guichet-Emplois, il est possible de visiter le site Web suivant : <https://www.guichetemplois.gc.ca/analyse-tendances/recherche-salaires>. ↩︎